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Chronique 35 - Pourquoi le Royaume Uni va réussir le Brexit !?

Sa gouvernance, clé de la performance durable.

 

En sortant de l’Union européenne, les britanniques se mettent dans l’obligation de repenser leur fonctionnement. Leur histoire montre qu’ils en sont capables. Ce sont des régulateurs : ils vont sortir par le haut du Brexit en inventant un nouveau cadre.

Franc-maçonnerie, Commonwealth, Tennis, Golf, Football, Rugby... : d’où provient cette habitude qui conduit nos voisins Anglais à inventer des règles ? Leur système parlementaire les oblige à parlementer : le mécanisme institutionnel instaure l’usage de relations interactives qui oblige chacun à entendre les autres.

 

Comprendre les racines de cette culture suppose de rapprocher trois chapitres déterminants de l’histoire profonde du pays et qui forment son éthos.

  1. Guillaume le Normand, Hastings, le Domesday Book et la naissance du pouvoir des communes

En 1085, le roi Guillaume le Conquérant commande ce que l’on peut appeler le premier recensement au sens moderne, le Livre du Jugement Dernier, ou Domesday Book, qui fait l'inventaire des hommes et richesses du royaume. Maître incontestable de l’Angleterre suite à la Bataille d’Hastings en 1066, il consent à ses barons normands des prérogatives étendues, mais morcèle leurs territoires. En pratique, le fractionnement de leurs fiefs tient les nobles éloignés du terrain, dont une part de souveraineté peut ainsi rester aux Anglo-saxons.

 

Non seulement les pouvoirs locaux ne sont pas vus par le pouvoir central comme dangereux pour lui, mais comme un contrepoids à la Noblesse. De là naît l’autonomie juridique des communes qui vont ainsi s’affermir avec le temps, sous la protection du monarque lui-même, pour finir par former une assemblée, Chambre des communes.

 

  1. Jean sans terre, Bouvines, la Magna Carta et la naissance du Parlement

En 1200, le roi Jean sans terre se marie avec Isabelle d’Angoulême alors qu’elle était pourtant promise à l’un de ses plus grands vassaux français, Hugues de Lusignan et de la Marche. Or, dans le Droit féodal, le suzerain devait protection à son vassal, en échange de quoi le vassal devait fidélité à son suzerain. Il s’en suit donc une contestation du roi Jean sans terre à la fois par ses barons pour avoir commis la trahison d’enlever la fiancée de l’un d’entre eux et par le Roi de France, dont il est le vassal en tant que Duc d’Aquitaine. Philippe II Auguste le punit en confisquant ses biens continentaux en 1202, le pape prononce son excommunication en 1209. Il entre alors en guerre pour reprendre son duché, mais sa légitimité entamée le conduit à la défaite de Bouvines, en juillet 1214.

 

Pour conserver son trône, ceux qu’il avait entrainé dans son aventure malheureuse le contraignent à signer la Magna Carta en juin 1215. Dès lors, un Grand conseil doté d’un droit de véto composé de barons et d'ecclésiastiques lui interdit de procéder à des arrestations arbitraires et à lever des impôts extraordinaires. Winston Churchill dira en 1956 « Voici une loi qui est au-dessus du Roi et que même le Roi ne doit pas violer ». C’est la fin de l'arbitraire monarchique en Angleterre et l'amorce d’une assemblée des seigneurs, Chambre des Lords.

  1. Charles 1er, la guerre civile, l’Habeas Corpus et la naissance des libertés publiques fondamentales

A compter de 1626, le roi Charles 1er tente de lever l’impôt malgré l’opposition du Parlement : il le dissout, fait incarcérer des parlementaires réfractaires, rejette les contraintes du Petition of rights en 1628. Après la guerre civile qui découle des batailles juridiques, le Parlement Anglais vote la loi de l’Habeas Corpus en 1679. Dès lors, toute personne arrêtée en l’absence de motifs doit être remise en liberté sous trois jours, puis bénéficier d’un procès dans les formes. A la même époque en France, Louis XIV use de la Lettre de cachet pour faire emprisonner qui bon lui semble.

 

La rhétorique des droits de l’homme, portée par les philosophes des Lumières du XVIIIe siècle, est une émanation directe de l’Habeas Corpus. Cette liberté fondamentale met un terme à l’arbitraire des puissants et place tout le monde sur un pied d’égalité face à la règle.

 

 

Communes, Parlement, libertés fondamentales, ces trois épisodes sont constitutifs d’une société qui s’est structurée par étape en profondeur pour autoriser l’expression des différences. Ainsi, si le cadre s’impose à tous, il intègre aussi la contestation et absorbe l’innovation pour conjuguer le possible et le souhaitable. Les Anglais sont des régulateurs qui définissent des conventions organisatrices du respect par tous de la diversité des faits et des idées. Ainsi, capables de bâtir ensemble des diagnostics et des projets, ils peuvent imaginer ensemble des solutions nouvelles et les assumer ensemble…jusques et y compris dans l’adversité des bombardements de Londres dont ils finissent par se dégager à leur avantage !

 

La preuve par 9 : le fonctionnement actuel du théâtre politique

 

La preuve de cet assemblement continuel de la diversité se trouve dans l’histoire politique récente du pays, avec le remplacement de Margaret Thatcher et de Tony Blair, par leur propre parti, sans transformation des appareils et dans la sérénité institutionnelle.

 

 

Margaret Thatcher est mise en difficulté par les contestations de son propre gouvernement qui la pousse à la démission en 1992, après qu’elle eut pourtant gagné pour la troisième fois les élections et occupé le poste de Premier ministre pendant douze ans. Il en va de même pour Tony Blair, rejeté en 2007 par son propre parti en cours de son troisième mandat après être resté Premier ministre pendant dix ans. Dans les deux cas, ce n’est pas l’élection qui met un terme à la fonction. A chaque fois, le remplaçant est issu du même parti que le sortant. Il apparait donc bien que l’opposition soit possible en Angleterre au sein du système politique et au sein même des partis en dehors des périodes électorales…et le parti ne s’en trouve pas affaibli, mais peut au contraire conserver le pouvoir. Cela révèle les ressources internes de la société Britannique. Leurs structures et leur culture leur permettent d’interagir pour se réinventer. Leurs performances actuelles et à venir ont des racines profondes et bien installées dans la gouvernance issue de leur lointain passé.

 

Personne ne connait encore la forme finale du Royaume-Uni à l’issue du Brexit, qui se déroulera en plusieurs phases selon un calendrier encore imprécis, voire assez aléatoire. Il faudra du temps pour identifier les gains et pertes des différents acteurs. Rien n’est joué, mais soyons-en convaincus : leur grande tradition démocratique les place en situation de se réinventer pour sortir par le haut !

 

Pour autant, leur modèle de remise en question leur est propre : ceux qui voudront les suivre en quittant l’Union doivent prendre garde à réunir les conditions qui leur permettront de résoudre une équation si complexe… Si leur système politique ne les oblige pas encore à conjuguer la diversité des analyses et visions, ce sera le moment de le repenser. Mais, quitte à réorganiser un mécanisme institutionnel, la réforme de celui de l’Union parait prioritaire pour mieux intégrer les disparités dans l’unité et faire disparaître les envies de départ !

 

[1] La légende fait participer Robin des bois à cette contestation.

[2]Jean Sans Terre épouse à Bordeaux le 24 août 1200 Isabelle d’Angoulême, fille unique d’Aymar Taillefer, Comte d’Angoulême, qui était pourtant fiancée avec Hugues X de Lusignan, son vassal.

[3] Margaret Thatcher est remplacée par John Major, membre de son gouvernement comme Chancelier de l'échiquier. Tony Blair est également remplacé par son propre chancelier de l'échiquier Gordon Brown.

 

Chronique du 11/02/2020 La Tribune

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